HOMMAGE AU DOCTEUR DOMINIQUE PEYRAT

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Hommage au Docteur Dominique Peyrat par le Docteur Claude Masquelier
(Anciens présidents de Généralistes et Toxicomanie 59/62)


Photo Hommage docteur Dominique Peyrat
Docteur Dominique Peyrat

Dominique fut avant tout un médecin, un médecin généraliste, un bon médecin, un vrai. A ce titre il était à la fois accompagnant des détresses, enquêteur perspicace, chercheur de solutions ; plus subtilement il était un infatigable chercheur des bonnes questions, découvreur de paradoxe, contemplateur des multiples facettes de la réalité. J’ai le sentiment qu’il se nourrissait de la poésie et de l’humour qui suinte de la vie. De l’amour aussi et surtout, mais les mots peuvent-ils en rendre compte ? Il fut en plus un confrère fidèle en amitié, toujours bienveillant. Il partageait avec enthousiasme ses découvertes intellectuelles et ses projets d’amélioration des pratiques médicales. Personnellement je lui dois l’essentiel de ce que je connais de l’éthique en médecine ; dans ce domaine je n’ai nulle part ailleurs trouvé un discours aussi clair, aussi pertinent, qu’auprès de Dominique.

Il faut évoquer également ses combats : celui pour rendre plus accessible la pratique sportive aux populations qui en ont besoin mais en sont exclues… et bien d’autres combats menés au sein des structures syndicale et professionnelles, et bien sûr en addictologie au sein de l’association G&T dont il fut président.

Le combat le plus héroïque fut certainement celui qu’il mena lui-même contre la maladie ; et ce combat fut exemplaire car pétri d’opiniâtreté d’intelligence et d’amour. Combat dramatique, comme la destinée humaine justement, comme notre destinée… mais avec quel panache.

Alors Dominique, certes l’oubli (voir texte de Dominique Peyrat ci-après) est le cadre de la mémoire, mais je crois que tu viendras me rappeler quand il le faudra « vit, le combat n’est pas encore fini, aime, cherche et engage-toi »


Cet hommage est l’occasion de nous souvenir également des Docteurs Jean-Daniel Escande et Yannick Millot, anciens présidents de l’Association qui nous ont quittés.


L’oubli

La tradition juive de la Kabbale rapporte qu’à la naissance d’un enfant on lui donnait sous le nez une chiquenaude pour qu’il oublie. Oublier quoi ? « parce que s’il n’oubliait pas, la marche du monde le rendrait fou s’il pensait déjà à la lumière de ce qu’il savait ». Avant de naitre et vivre, savons-nous déjà ? En mourant allons-nous redécouvrir, retrouver ce que l’on connaissait auparavant ? Cela expliquerait pourquoi nos morts ne communiquent plus avec nous. Ils ne nous donnent plus de signes, ce silence nous protège, nous laissant dans l’illusion, le bavardage.

Mais si la chiquenaude n’a pu être donnée ou reçue, nous aurions une explication à ces sensations si mystérieuses et dérangeantes du déjà vécu. Tous, au cours de nos vies, nous l’avons ressentie. Nos patients atteints de la maladie d’Alzheimer sont peut-être dans une phase, un cheminement, un renversement où ce n’est pas une perte de mémoire qui les touchent mais une résurgence de ce qu’ils avaient dû oublier avant d’être au monde pour le supporter. Non une perte, mais un réveil, un retour si terrible, si violent que le seul recours est d’oublier la réalité (non la possibilité de mourir, ce qu’Heidegger a caractérisé comme propre, incessible, esseulante et extrême mais certitude de notre fin) pour persister dans un être non diminué mais différent.

Cette réminiscence ne permettant plus de supporter la marche du monde.

Paradoxalement ce qui semble disparaître est retenu.

A nous de les regarder non comme des humains incompétents ou même des morts vivants mais comme des personnes complètes, fragiles, autres et tout autant sensibles aux émotions que nous tous. Possédant un non savoir que nous n’avons pas.

Cette hypothèse, cette interprétation offrent une possible réponse à une des interrogations de Paul Ricoeur : « Où sont nos morts? »

Peut-on en tirer une leçon: quand je serai mort, ne vous étonnez pas de n’avoir aucun signe de moi. Gardez moi juste une place dans vos cœurs.

Dr Dominique Peyrat
Médecin généraliste
Attaché au service d’addictogie du CHR de Lille et à l’EPSM Lille Agglomération
Ancien président de Généralistes et Toxicomanie