Sommeil, usages & pratiques addictives
Par le Dr Antoine Canat, médecin ressources au sein de Généralistes et Addictions Hauts de France
Quels liens ?
► Les troubles du sommeil sont 5 à 10 fois plus fréquents chez les personnes souffrant d’addiction1
► 10 à 15 % des personnes consultant pour un trouble lié au sommeil présentent un trouble lié à l’usage d’une substance psychoactive
► Les troubles du sommeil peuvent conduire au développement d’une addiction et inversement2 3
► Toutes les addictions peuvent conduire à une altération, plus ou moins marquée, du sommeil :
- Délai d’endormissement (augmentation de la latence d’endormissement)
- ·Continuité du sommeil (fractionnement du sommeil et réveils dans la nuit)
- · Durée du sommeil (réduction du temps de sommeil total)
- · Architecture du sommeil (notamment stade de sommeil : réduction du sommeil profond et paradoxal)
Substances psychoactives et rythme veille-sommeil
Le rythme veille-sommeil qui obéit à l’équation pression d’éveil – pression de sommeil ; directement corrélée au rythme circadien (horloge interne qui module l’éveil en fonction de l’heure de la journée) et à la pression homéostatique (niveau de sommeil lié à l’activité).
La plupart des substances psychoactives ont un impact sur le seuil d’endormissement :
- Les substances dites « dépresseurs » (sédatives, hypnotiques) lors d’une prise ponctuelle vont avoir tendance à abaisser le seuil d’endormissement et faciliter l’induction du sommeil
- Les substances dites « stimulantes » (psychostimulantes, éveillantes, anti-somnolence) lors d’une prise ponctuelle vont, quant à elles, augmenter le seuil d’endormissement et entraver l’apparition du sommeil.
L’effet des substances psychoactives ainsi que le craving (l’envie irrépressible de consommer) est sous influence circadienne (rythme biologique interne) : en fonction de l’heure de prise, les consommations peuvent avoir un caractère renforçateur, la récompense perçue étant majorée4.
Une dette de sommeil tend à stresser l’organisme et peut donc provoquer :
- Une majoration du craving (lui-même susceptible de provoquer des insomnies)
- Une perte de l’inhibition exercée par le cortex frontal et pré-frontal : majoration des comportements impulsifs et compulsifs & des conduites à risques5
- Un risque de rechute dans les consommations
Sommeil et sevrage
La réalisation d’un sevrage (progressif ou brutal) est une thérapeutique de première pour traiter un trouble du sommeil de type insomnie, trouble du rythme circadien avec décalage de phase, etc… mais il n’est pas l’assurance d’une normalisation du sommeil. Ainsi, à la suite d’un sevrage, il est opportun de mener un monitoring du sommeil afin d’adapter l’accompagnement. Au-delà de 3 à 4 semaines, le trouble du sommeil doit être accompagné de manière spécifique au risque de provoquer une rechute.
Accompagnement des troubles du sommeil en contexte addictologique
Les soins de support liés au rythme veille/sommeil doivent être mieux considérés en pratique clinique : ils constituent de véritables leviers motivationnels et/ou thérapeutiques dans la prévention de la perte de contrôle et de la rechute6.
Les recommandations en première intention sont les règles d’hygiène du sommeil et de l’éveil ainsi que les thérapies cognitives comportementales (grade A)7. Le recours aux thérapies médicamenteuses est une option de seconde ligne et doit notamment tenir compte des comorbidités psychiatriques éventuelles. Les benzodiazépines et assimilés sont à risque addictif et ne sont pas indiqués dans le traitement de l’insomnie chronique.
Le conseil de Généralistes et Addictions Hauts de France :
« Les troubles du sommeil et de l’éveil sont fréquents en soins primaires et il est pertinent de réaliser un repérage de troubles liés à l’usage de substances psychoactives. L’inverse est vrai aussi. L’accompagnement repose sur le traitement concomitant des 2 troubles puisqu’ils sont susceptibles de s’entraîner mutuellement. Pour les situations les plus complexes, n’hésitez pas à vous rapprocher des Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) de proximité ou solliciter une Intervision sur votre secteur dans le but d’échanger en intervision avec les professionnels accompagnant ce patient et des experts en addictologie »
Références
- Dematteis M, Pennel L. 18. Addictions et sommeil. In: Traité d’addictologie [Internet]. Lavoisier; 2016 [cité 15 oct 2024]. p. 161‑76. ↩︎
- Hasler BP, Smith LJ, Cousins JC, Bootzin RR. Circadian rhythms, sleep, and substance abuse. Sleep Med Rev. 1 févr 2012;16(1):67‑81. ↩︎
- Fatseas M, Kervran C, Auriacombe M. Troubles du sommeil et addictions : impact sur la qualité de vie et le risque de rechute. Presse Médicale. 1 déc 2016;45(12, Part 1):1164‑9. ↩︎
- Murray G, Nicholas C, Kleiman J, Dwyer R, Carrington M, Allen N, et al. Nature’s clocks and human mood: The circadian system modulates reward motivation. 2009 ↩︎
- Tubbs AS, Fernandez FX, Grandner MA, Perlis ML, Klerman EB. The Mind After Midnight: Nocturnal Wakefulness, Behavioral Dysregulation, and Psychopathology. Front Netw Physiol. 3 mars 2022 ↩︎
- Elsevier Masson SAS. Les Addictions | Livre | Chapitre 9. Système de récompense et rythmes biologiques ↩︎
- Haute Autorité de Santé. Prise en charge du patient adulte se plaignant d’insomnie en médecine générale ↩︎
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